Une vidéo montrant des personnes habillées en combinaison portées par les équipes de la riposte contre la maladie à virus Ebola, accompagnée de militaires se disputant avec une femme, avant de lui ravir son enfant et de l’emmener dans une Jeep 4X4, a fait le tour de la toile depuis décembre 2019.

“RDC Ebola : Un enfant arraché à sa mère par des militaires. Appel à témoins. Est-ce que l’un de vous reconnaît l’endroit ou sait quand ça s’est passé? Merci d’avance” écrivait le 3 janvier dernier Sonia Rolley, journaliste de la Radio France Internationale basée à Kinshasa et suivie par plus de 423 milles personnes sur Twitter. L’appel à témoin a récolté 259 retweets, 123 commentaires et la vidéo partagée a été visionnée plus de 18 milles fois, mais sans que les internautes arrivent à rétablir les faits ou donner une indication ayant un lien avec l’événement.

CONGO CHECK s’est lancé dans la recherche documentaire pour tenter d’avoir les contextes autour de la vidéo, devenue virale suite aux dénonciations de la militarisation de la riposte contre la maladie à virus Ebola, considérée comme un frein à l’acceptation communautaire de la part des voix critiques au sein de la riposte et des bailleurs de fonds.

“Images affreuses… pour être vraies. Nos équipes sont de vrais professionnels et n’agissent pas ainsi.Les éléments de la police nationale et des forces armées sont là pour assurer la sécurité des équipes et du matériel de la riposte.Nous leur devons respect et reconnaissance” expliquait le docteur Jean-Jacques Muyembe Tamfum, qui dirige la riposte contre Ebola en RDC, bien que quelques jours plus tôt des équipes de communication de la riposte niait que les faits avaient un lien avec leurs activités.

A propos du lieu de déroulement des faits

Les méthodes de recherche en ligne ayant été infructueuses suite à plusieurs coordonnées géographiques des zones rurales ou de l’utilisation des outils de reconnaissance faciale par les personnes figurant sur la vidéo, CONGO CHECK a mobilisé ses équipes pour tenter de retrouver la scène de la vidéo dans les provinces du Nord-Kivu, Sud-Kivu et Ituri, foyers de la maladie à virus Ebola.

Après avoir fait des captures d’écran de plusieurs séquences de la vidéo, les équipes de CONGO CHECK ont commencé par exclure plusieurs endroits de la liste de recherche en se basant sur la pédologie et le relief montrés par la vidéo. Une première tentative de CONGO CHECK sur la barrière de Kangothe [entrée en ville de Butembo par la route venant de Beni] a été insatisfaisante après la comparaison des photos prises et les captures de la vidéo. Puis, un autre journaliste a repéré l’endroit se basant sur les informations visuelles disponibles dans la vidéo diffusée.

Kanyabayonga

La scène se passe au point de contrôle et de lavage des mains de Kanyabayonga, une commune rurale du territoire de Lubero, située à plus de 152 Km de Goma au Nord-Kivu. Les images prises sur place par un journaliste envoyé par CONGO CHECK et les témoignages de témoins de la scène confirment cette localisation.

Selon plusieurs sources locales abordées par CONGO CHECK, le fait remonte en début du mois de décembre 2019. Il s’agit exactement d’un cas résistance communautaire mais visiblement mal géré par les équipes locales de la riposte contre Ebola.

La table sur laquelle la femme était coincée par les militaires dans la vidéo est l’une des tables sur laquelle le restaurant sert ses clients

Le buffet du restaurant

La cuisine et l’étalage, aussi visibles dans la vidéo

L’extérieur du restaurant, lieu de la première altercation entre la femme et le premier soldat

Que s’est-il réellement passé ce jour-là ? 

CONGO CHECK s’est entretenu avec neuf personnes, témoins oculaires et certains responsables du point de contrôle et de lavage des mains de Kanyabayonga, afin de savoir ce qui s’est réellement passé.

De l’identité de l’actrice clé de la vidéo

“La femme est une voyageuse. Elle serait provenue de Butembo à bord d’un minibus peu avant la mi-journée. Apparemment elle était l’épouse d’un militaire et elle se rendait à Goma”, renseignent tous les témoins oculaires de l’ événement interrogés. 

Des versions divergentes autour de l’événement 

“Elle était descendue du minibus comme d’autres passagers. Elle s’est lavée les mains, on a aussi prélevé sa température, qui est sortie à la normale. Mais son enfant était apparemment malade car sa température a était élevée. Du coup, les agents de la riposte ont demandé à cette femme d’attendre un moment pour observer l’évolution de la température de son enfant. Le minibus a démarré, continuant sa route et a laissé la femme” explique un autre témoin sous anonymat.

“C’est après un second prélèvement que les agents de la riposte ont décidé d’appeler l’ambulance afin de transférer l’enfant suspect au centre de transit de Kayna [Kayna : une commune rurale située à plus de 20 Km de Kanyabayonga. C’est ici où est érigé le centre de transit d’Ebola : Ndlr]”, raconte le jeune garçon de 25 ans, travaillant dans un des services de l’Etat commis à la barrière péage-route de Kanyabayonga. 

“C’était une femme d’un militaire. Elle était à bord d’un minibus. Je ne sais pas pourquoi elle avait refusé que son enfant soit amené à l’hôpital. J’ai seulement vu quand elle était venue avec son enfant, on l’avait prélevé la température et son enfant. Après, son enfant a fait une diarrhée quelques minutes après car il était malade. Comme la diarrhée est parmi les signes d’Ebola et comme le même enfant avait la température élevée, c’est pourquoi les agents de la riposte ont fait appel à l’ambulance pour l’acheminer à Kayna”, fait savoir aussi une femme, travaillant dans restaurant au péage-route de Kanyabayonga.

Quid de l’implication des militaires?

Plusieurs personnes interrogées indiquent qu’elles ignorent la raison pour laquelle la femme a opposé une résistance aux équipes de riposte sur place mais elles sont convaincues que son attitude est la cause de la rescousse des militaires en appui aux équipes de riposte. 

“Nous avons été surpris de voir une dispute entre la dame et les militaires. Nous connaissons ces soldats, certains travaillent dans la riposte ici et d’autres à la barrière. Nous avons entendu ces militaires dire, c’est notre enfant pourquoi tu refuses qu’on l’amène à l’hôpital. Et la dame qui était devant ce restaurant a directement poussé le militaire à l’intérieur du restaurant et directement on l’a ravi l’enfant et l’amené dans l’ambulance”, renseigne une jeune fille, 18 ans environs, vendeuse d’ananas au petit marché qui a émergé à cette porte d’entrée et de sortie de Kanyabayonga. 

“Ces militaires-là sont commis pour la sécurisation du point de contrôle et de lavage des mains. C’est d’ailleurs eux qui ont envenimé la situation. La femme était déjà prête pour lâcher son enfant. Du coup elle s’est dirigée à côté de ce restaurant. Un militaire a commencé à échanger avec elle et je ne sais pas de quoi ils parlaient et ce de là que la femme a opposé une résistance ouverte. Moi, j’étais à côté, quand la dame a poussé les militaires, d’autres ont commencé à venir. Ils ont poussé violemment la dame sur la table du restaurant et l’ont ravi son enfant”, explique un autre travailleur à la barrière péage route de la place.

La propriétaire du restaurant est une dame, âgée de plus de 40 ans. Elle nous a aussi donné son témoignage. 

« Le premier militaire qui s’est bagarré avec la dame était ivre. C’est lui qui a causé la montée de la tension. Ils ont vraiment humilié cette dame et démoli une partie du mur de mon restaurant. J’ai déjà fait rapport au chef local de la riposte pour qu’il puisse entretenir ce mur mais rien n’est fait jusqu’à présent”, explique-t-elle.  

Un des responsables du point de lavage des mains abordé par CONGO CHECK soutien seulement que les militaires qui se sont introduits dans la scène étaient ivres et ne font pas partie des agents de la riposte. 

Les militaires visibles dans la vidéo continuent de prester en ce lieu. Approchés pour expliquer l’événement autour de ce sujet, ils ont refusé de s’exprimer.

Enquêtes en cours et l’enfant testé négatif à la maladie à virus Ebola

Les autorités locales et certains leaders communautaires renseignent que plusieurs commissions de l’Organisation Internationale de Migration (impliquée dans le pilier de contrôle des mouvements des populations lors de la dixième épidémie de la maladie à virus Ebola) ont déjà été envoyées pour enquêter sur cet événement.

“Nous avons appris que le résultat était sorti négatif. C’est vrai, ce qui s’est passé ce jour-là à la barrière de péage route avait étonné tout le monde. Des rumeurs sont parties dans tous les sens mais le plus important est que l’enfant n’était pas infecté. Car si tel était le cas, les militaires et la femme (ndlr: qui apparaît dans la vidéo) pourraient être considérés comme contacts à haut risque. Nous pensons que la commission psychosociale de la riposte doit fournir plus d’effort pour conscientiser les passagers au cas où un cas suspect serait identifié dans un véhicule”, a suggéré Halisi Kakule Mapendo, notable de la région. 

Vue du poste-barrière au point de contrôle et de lavage des mains de Kanyabayonga. PHOTO: Asaph Litimire/CONGO CHECK

Vue élargie du restaurant, dans lequel se sont déroulés les faits. PHOTO: Asaph Litimire/CONGO CHECK

Vue globale du point de contrôle et de lavage des mains de Kanyabayonga. PHOTO: Asaph Litimire/CONGO CHECK

Ce qu’il faut retenir sur la vidéo après les recherches de CONGO CHECK. 

  1. Le mari de la femme n’apparaît pas sur la vidéo (certaines personnes indiquaient le mari, c’est le militaire qui s’est disputée avec la femme).
  2. La femme était une voyageuse entre Butembo et Goma
  3. La maisonnette dans laquelle l’enfant est ravi à sa maman est un restaurant et non la résidence de la femme
  4. Les militaires font partie de l’équipe qui gardent les installations de la riposte contre Ebola au point d’entrée et de lavage de mains.

Claude Sengenya et Sammy Mupfuni ont participé à la redaction de ce fact-check.

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CONGO CHECK est signataire du code de principes du Réseau International de Fact-Checking, IFCN. Le travail de CONGO CHECK (une organisation indépendante et non partisane) est dédié à la lutte contre la désinformation et attend rendre les dirigeants redevables en traçant la réalisation des promesses tenues par les gouvernants via son baromètre de promesses.

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